EN ITALIE

EN ITALIE

Amelia Barbui

 

Pour présenter Agalma il est nécessaire de rappeler brièvement les étapes historiques qui ont marqué la pénétration de l’enseignement de Lacan en Italie. C’est une longue histoire, quoique tourmentée, déjà une tradition, qui rend compte de cette initiative récente d’Agalma et en rend le projet manifeste.

Tout d’abord, pour fixer les premiers jalons, nous signalerons deux dates et une ville : de Rome 1953 à Rome 1967 : la psychanalyse, raisons d’un échec. Il s’agit – comme l’on sait – du titre de la conférence que Lacan tint le 15 décembre 1967 au Magistero de l’Université de Rome.

Ce sont des dates clef dans l’histoire du mouvement psychanalytique en France. Elles représentent les années au cours desquelles s’est constituée l’E.F.P. Ces deux  dates convergent sur une ville : Rome, qui était alors le siège de discours intéressant la psychanalyse internationale. Mais à cette époque, l’Italie est vierge quant à l’enseignement de Lacan : ses paroles résonnent dans un contexte qui n’a pas encore produit d’interlocuteurs.

Il faudra attendre encore un certain nombre d’années pour que l’on puisse écrire deux dates où se condensent les événements de ce que l’on peut appeler, à ce point, le mouvement lacanien italien : ce sont les années 1974 et 1974 qui redoublent l’échec de la période précédente. Mais Lacan n’est plus là pour nous en expliquer les raisons : c’est à nous de les trouver.

1974, comme l’on sait, est l’année de la lettre da Lacan aux psychanalystes italiens, lettre qui n’à encore pas trouvé de justes destinataires : le tripode qui devait naitre n’est jamais né, les trois pieds ont boité dès leurs premiers pas.

1984 est l’année qui, à ce point, représente le grand rendez-vous manqué du lacanisme italien : c’est la date d’échéance qui devait conduire à la constitution d’une association jamais constituée. C’est ‘année qui clôt une époque d’illusions où l’on espérait qu’une initiative unitaire pourrait servir de principe organisateur des diverses composantes qui se sont historiquement développées. Il arrive parfois, dans les congrès, que quelque psychanalyste français demande à un collègue italien quels sont les chefs de file du lacanisme en Italie. L’impossibilité où l’on est de répondre à cette question résume, croyons-nous, en dernier ressort, les raisons de cet échec.

Rien ne sert de pleurer sur le lait versé : il s’agit plutôt de voir si à partir de cette impossibilité, que ce n’est plus le cas d’escamoter désormais, il est possible de créer les bases réelles pour un progrès de la psychanalyse. Certes, il s’agit d’une situation particulière. D’une part, il y a l’engagement personnel, direct et réitéré de Lacan pour constituer en Italie quelque chose qui puisse répondre de son enseignement (engagement inexistant par ailleurs dans d’autre pays, et ce privilège prouve que Lacan, contrairement à Fred, voyait de bonnes raisons pour miser sur l’Italie) ; d’autre part, nous nous trouvons devant rien de fait, et ce rien est déterminé par l’impossibilité de dialoguer avec un ou plusieurs interlocuteurs valables. En somme, le plus-un de la situation a fait défaut.

Mais Lacan misait plus sur les fonctions et sur le fonctionnement que sur les personnes et ceci nous fait penser que la répétition de l’échec de 1974 à 1984 n’a pas été seulement une faillite, mais une expérience qui a éclairci bien des choses.

Cette expérience nous dit avant tout qu’il ne s’agit pas de faire fonctionner les porte-parole de Lacan, mais le texte lui-même et la lecture de ce texte. Lui seul peut fonctionner comme plus-un. Cela peut paraître évident et élémentaire mais le fait que nombreux sont ceux qui ont essayé de s’imposer à travers le nom de Lacan au lieu d’imposer le texte de Lacan à travers leur propre travail, prouve bien le contraire. Il s’agit d’enregistrer tout simplement une donnée historique : en Italie, on n’est pas parti de l’enseignement de Lacan mais de son dépassement. Si, en France, l’hermétisme des Ecrits se dressait sur le fond explicatif des séminaires, en Italie, on le présentait comme parole oraculaire ne souffrant aucun commentaire, et ouverte seulement à de nouveaux aphorismes.

Ce sont des expédients que la sévère tradition de la culture italienne ne peut pardonner, et qui, dans l’état actuel, font courir le risque de mettre Lacan au rancart, dans le grenier des choses bizarres, amusantes mais inutiles. A un premier moment de curiosité, du a la mode structuraliste, peut suivre un oubli bien plus dangereux que toute polémique.

Nous sommes à un moment où il ne s’agit pas de rattraper le temps perdu : ces année ne son pas du temps perdu. Il s’agit plutôt de comprendre que tout doit encore commencer et ce n’est pas le moment de rater ce rendez-vous.  Tout doit commencer par l’enseignement de Lacan : qui vise à le dépasser se place hors jeu de lui-même. Il s’agit donc de se placer dans les conditions d’être les destinataires de la lettre qui encore aujourd’hui reste volée.

Agalma travaille pour créer les conditions matérielles de ce début : séminaires, groupes d’études, groupes d’orientation, centre de documentation, interventions dans les institutions sont les moyens  qu’il se donne pour répondre aux nécessités d’une situation où l’on s’approche de Lacan pour travailler son texte et non pour en faire un drapeau.

Ses projets pour le futur sont ambitieux : d’un coté faire dialoguer Lacan avec la culture italienne de la place qui lui appartient en l’élevant donc du rang actuel de curiosité perverse à celui de penseur après lequel la psychanalyse n’est plus la même ; d’un autre coté, établir les bases d’une pratique clinique qui, se fondant sur un retour à Freud dans le prolongement donné par Lacan, créent un espace différent de celui qui actuellement est dominé per un empirisme psychologistique corrompu par toute sorte de nouveautés américanisantes.

Agalma ne prétend pas pour autant être le seul à se placer à l’horizon de la lettre de Lacan : la lettre s’adresse à tous ceux qui voudront la recevoir. C’est l’histoire même qui imposera une sélection, comme au cours de ces dernière années elle a imposé  le renversement qui a reconduit au rang d’une simplicité essentielle ceux qui avaient pris le livre pour un sceptre.